«Je suis un apprenti qui guide»

Daniel FROUVELLE, le goûteur de bribes...

Daniel a fait ses études de mathématiques et fut un informaticien «de la première heure». Ce sont les circonstances qui l'ont mené à la lutherie, avec la rencontre de Pierre Corbefin, et surtout de Guy Bertrand et Bernard Desblancs, tous les trois au Conservatoire Occitan de Toulouse. A l'époque, il pratique le chant et la danse et participe naturellement aux Ballets Occitans. Mais il est aussi guitariste autodidacte (débuts dans l'ambiance de 68 à 13 ans) et bricoleur, modeste amis bouillant de créativité, de quoi devenir luthier, des vielles-cougourdes aux tambours de pluie...

Leçon des sons...

Avec le facteur Gérard Martin, en 80, il travaille 3 mois en formation et, dès 81, participe à son "premier St-Chartier". IL fabrique d'abord des vielles. Il se met aux percussions, aux crécelles, pour Guy Bertrand, il reconstitue la bombe du Lauragais, un gros tambour, à l'aide de collectages de Xavier Vidal. Daniel aime la marge d'invention laissée par l'imperfection du témoignage.; pour répondre à la demande, il réalise ensuite toute une famille de caisses plus ou moins grosses.

Autodidacte forcené dans l'âme, il explore, réalise une vielle en bambou, puis en cougourde. Sa rencontre avec Yves Rousguisto est le début d'une collaboration qui dure encore. A la fin des années 80 et au début des années 90, il travaille avec La Talvera: concerts, enregistrements, extrapolations instrumentales d'après collectage. Encore cette idée de mettre sa patte créative dans une réalisation traditionnelle: tambours sur cadres, sifflets tournoyants, citrouilles à friction (version concert en polyester...). Les sons qu'il découvre ou redécouvre l'enrichissent. Daniel aime cette idée d'être délibérément un luthier marginal au sein de la marginalité des musiques traditionnelles. Mais ça ne fait pourtant pas un "tabac" à St-Chartier ... Si ce n'est depuis deux ans avec un logiciel performant de construction de vielle!

Le goût des gouttes...

Il y a 5 ans, il a l'idée des tambours de pluie, en prenant pour base les gamelles de dessous de gouttières. Du "sauvage" sophistiqué : «grands bambous du sommet desquels tombe de l'eau, goutte à goutte, sur des membranes tendues, les robinets permettant à l'instrumentiste le réglage de la fréquence des larmes». Ces "goutteurs"-là (4 structures de chacune 3 membranes) sont aussi musicaux qu'un concert de troupeau avec ses cloches. Sur cette nappe sonore polyphonique et aléatoire, Daniel improvise, au chant, à la vielle, aux rhombes, aux percussions... C'est une approche musicale non conventionnelle, «ton énergie propre ne fait pas le son, c'est la gravitation qui travaille à ta place pour te dessiner un paysage». Daniel se produit ainsi en duo avec Yves Rousguisto (Tèrra d'aiga e de vent). Les mêmes improvisent L'èime de la nuèit avec un sculpteur édifiant une structure fragile et éphémère, à base d'arcs de bois et avec le GMEA (Groupe de Musique Electroacoustique d'Albi), qui travaille sur des sons de synthèse ou directs, et des enregistrements dont un conte écrit par Daniel et qu'il a fait lire pr des voix différentes, timbres variés de terroirs occitans : Lozériens, Gascons...

Cette année a vu la création d'un spectacle (Passatge), à partir de textes médiévaux ou créés, sur le thème des femmes cathares, avec un électroacousticien et deux comédiennes. Objectif : se déranger mutuellement, en tenir compte et s'en enrichir.

L'école décolle...

Daniel, formateur à l'École Nationale de Musique et de Danse du Tarn (DE de chant en 89), n'y est pas différent de ce qu'il est dans son atelier ou sur la scène : pour lui la tradition est un canevas à explorer pour créer. Il interroge ses élèves en vielle ou chant sur leurs propres racines, les incite à créer leur répertoire pour la rue. «Je n'enseigne pas, je collecte. Je cultive les autres par l'écoute.» C'est la sollicitation de l'École de Musique, désireuse d'une fête élargie, qui est à l'origine des rencontres SONEM MAI! «Festival sans vedette» où les musiciens, comme J.F.Vrod, passent 2 ou 3 heures avec des groupes de jeunes (en tout 200 élèves d'une vingtaine d'écoles de toute l'Occitanie et de Catalogne). Chaque unité envoie à l'avance quelques airs que Daniel "brasse" pour un bal "métissé" : le samedi après-midi on met en place pour restituer le soir-même. Un concours de création alimente le répertoire de l'année suivante. Tradition, partage et création. Tradition tout court?

Racines/création, tradition/modernisme, individu/collectivité... Daniel FROUVELLE génère son propre goutte à goutte d'une pluie d'où puisse sourdre une harmonie inédite.

Claude Ribouillault, Trad Magazine 11/2000

Daniel FROUVELLE, chemin des Grèzes, 81380 LESCURE D'ALBIGEOIS