VIELLES:

L'outil informatique au service de la lutherie, essai de conception d'instruments assistée par ordinateur, par Daniel FROUVELLE.

Les fabricants de vielles à roue ont toujours déployé une grande imagination quant à la diversité de l'architecture de l'instrument: depuis l'organistrum jusqu'aux vielles d'aujourd'hui, hormis quelques styles affirmés à certaines époques ou dans certaines régions, il ne s'est pas trouvé de forme «dominante» comme on peut le constater pour le violon, par exemple. La grande diversité des modèles de vielle exposés à St-Chartier prouve que cette imagination perdure. N'échappant pas à la règle, et dans une quête de modèles toujours différents, je me suis demandé si l'outil informatique pouvait alimenter ma recherche. Ayant une formation de mathématicien et d'informaticien, j'ai dépoussiéré quelques livres de trigonométrie et délaissé gomme et crayon, pour le clavier et la souris dans le travail de recherche que je tente de présenter ici. Ce qui va suivre ne prétend pas révolutionner la lutherie, encore moins se substituer au luthier, mais donne des pistes de réflexion, et quelques outils de dessin et de visualisation qui s'avèrent être fort commodes et directement utilisables pour la fabrication.

Il s'agit d'un programme de dessin; le parti a été pris de se passer des logiciels déjà existants sur le marché et de créer un programme adapté aux besoins et aux caractéristiques spécifiques des vielles, pour en simplifier l'accessibilité.

*Un modèle mathématique pour une vielle: je me limite dans ce qui suit à la description d'une famille de vielles dites «rondes», les vielles «plates» ou de forme «sculptée» se déduisant de la première sur les mêmes principes.

Dessiner des courbes: j'appelle forme C une courbe passant par deux points A1 et A2 donnés et «aspirée» par les points dits «de contrôle» B1 et B2, d'autant plus fortement que ces points de contrôle sont éloignés des extrémités respectives de la courbe, en voici des exemples: il s'agit de courbes paramétriques (polynômes du 3e degré) que j'utiliserai dans les trois plans de coupe du dessin.

La crosse, le contour de la table, le profil de la coque, les coupes transversales de la coque, le profil du cache-roue et du couvercle, les chevalets, sont des suites de formes C mises bout à bout. Nous aurons accès aux coordonnées de l'ensemble des points {A1,A2,B1,B2} (par exemple en les matérialisant à l'écran à l'aide d'un petit carré que nous pourrons déplacer à l'aide de la souris)

La table est une portion de cylindre, nous aurons accès à son rayon.

L'axe et la roue sont une juxtaposition de cylindres et de tronçons de cônes, nous aurons accès à leurs longueurs, diamètres, inclinaisons, positions horizontale et verticale (certains paramètres s'ajustant automatiquement, nous le verrons plus loin).

Les cordes sont des segments, nous aurons accès aux coordonnées de leurs extrémités.

Le paramétrage et le placement du clavier sont plus complexes, nous le verrons en détail plus loin; la position des sauteraux, et donc des touches est fonction de la longueur vibrante L de la chanterelle (la distance séparant le ne sauterau du chevalet est L x (0.5)n/12 pour une échelle de hauteurs tempérée).

Les côtes s'ajustent automatiquement au format de la coque, nous n'aurons à intervenir que sur leur nombre. Elles sont guidées par les formes C des trois plans de coupe (face, profil, arrière) et réparties régulièrement en «quartiers d'orange» selon l'axe médian de la table.

Le programme fait lui-même tous les calculs; l'intervention de l'opérateur se limite à la seule saisie de valeurs ou le déplacement de points comme on le ferait en reportant sur une feuille une grandeur à l'aide d'une règle graduée , le grand avantage résidant à ce que l'ensemble des dessins se retrace automatiquement chaque fois qu'un paramètre est modifié. L'oeil de l'opérateur sera seul juge des résultats obtenus: résultat technique par l'observation de la cohérence des éléments, résultat esthétique par l'appréciation de l'harmonie des formes obtenues...

La conception d'une vielle en six étapes: six vues principales à l'écran avec leurs menus respectifs sont nécessaires à la réalisation complète du dessin. Les entrées des paramètres se font soit par la saisie au clavier de valeurs dans un tableau, soit en glisser-déplacer de la souris, soit à l'aide de barres de défilement.

1°) Commençons d'abord par Le clavier:

Nous choisissons d'abord une longueur vibrante, une note de départ (qui va influer sur les positions respectives des touches du haut (dièses) et du bas), le nombre total des touches. Il faut maintenant ajuster les «doigts» des touches de la rangée du bas, extrémités où le musicien pose ses doigts, car plus l'on va vers les notes aiguës, plus ces «doigts» de touches sont étroits. Pour être jouable nous déciderons d'une largeur pour le premier et d'une autre largeur pour le dernier «doigt». La décroissance des largeurs sera gérée par une courbe de forme C. Automatiquement vont se dessiner ces «doigts» pour s'accrocher sur les touches. Par tâtonnements sur ces trois paramètres (largeur premier, largeur dernier, décroissance), nous obtenons facilement une configuration satisfaisante. Les «doigts» des touches de la rangée du haut (altérations) s'alignent automatiquement sur les «doigts» de celles du bas (par exemple un SIb s'ajuste à gauche au milieu du «doigt» du LA et à droite entre le SI et le DO). Il reste à harmoniser leur largeur par un petit compromis (surtout dans les notes aiguës cet ajustement rend certains «doigts» trop étroits pour pouvoir les jouer): on déplace manuellement à l'écran de petits ergots qui modifient sensiblement ces positions. On termine l'opération en ajustant la largeur, l'épaisseur des coulisses ainsi que la hauteur qui sépare la rangée du haut de celle du bas. Les claviers obtenus sont sauvegardés dans un dossier «Claviers»

2°) Dessinons maintenant la vielle de Face en ne nous préoccupant pour l'instant que du contour de la table (formes C):

Un nombre de points par où passera ce contour étant déterminé, à partir d'une contrainte de longueur et de largeur maximale de l'instrument que l'on se donne, on fixe un des points comme extrémité avant et un autre extrémité arrière; déplaçons les points à l'écran, (leurs coordonnées apparaissent au fur et à mesure de leur déplacement) jusqu'à obtenir un contour satisfaisant.

3°) Passons maintenant à la coque vue de Profil, (dépendante pour sa longueur des points extrêmes dessinés lors de la vue de face) selon le même principe que tout à l'heure on dessine le fond de la coque et le profil de la crosse.

La surface de la table étant courbe, son contour est reporté automatiquement en fonction du rayon de courbure de cette dernière. On place ensuite l'axe et la roue en ajustant un tableau de valeurs. L'extrémité droite de l'axe se cale automatiquement à l'arrière de la coque. Puis les chevalets sont tracés suivant leur hauteur et la distance qui les sépare du bord arrière de la roue. Nous choisissons un clavier préalablement dessiné suivant le 1°) et nous l'insérons dans le dessin en fonction de la longueur vibrante des chanterelles, de la position horizontale du chevalet et verticale du sillet. La roue va elle-même s'ajuster et «coller» à la chanterelle, sa conicité se modifie, l'inclinaison de l'axe se rectifie chaque fois que nous modifions un des paramètres ci-dessus, quelques tâtonnements suffisent à mettre le tout en place.

4°) vue Arrière:

Ici le nombre de coupes transversales dépend du nombre de points défini en 2°), ces coupes sont aussi des formes C: même principe de dessin que tout à l'heure. On dessine le chevalet des chanterelles (formes C un peu plus complexes) dont le contour supérieur s'ajuste automatiquement au contour de la roue. Les chevalets des bourdons (ici chevalets réglables) sont disposés à partir d'un tableau de valeurs. Les bourdons se dessinent également jusqu'à leur extrémité aux sillets en «collant» automatiquement à la roue. Les sillets des bourdons (oreilles) apparaissant sur le dessin, on pourra s'apercevoir si la configuration de la roue est compatible avec la nécessité d'avoir l'extrémité des bourdons bien placés au niveau des sillets.

5°) On reviendra aux vues de Profil et de Face pour dimensionner les flasques du clavier, son décalage latéral, sa largeur, la longueur des coulisses; pour déterminer le nombre de cordes et profiler le couvercle et le cache-roue. On déterminera également un pas pour des coupes transversales de la coque qui vont nous servir à la confection d'un moule. On pourra consulter également une vue qui simulera la vielle en trois dimensions, selon des orientations choisies, en sélectionnant des éléments particuliers, afin d'avoir une idée plus ouverte de l'instrument.

6°) Ce travail terminé, on fera appel à la vue Mise en Page pour imprimer selon une échelle choisie des éléments ou des vues tels qu'on les a construits, une liste détaillée des paramètres et de leur valeur ou des éléments fabriqués automatiquement telles les coupes transversales de la coque ou le dessin des côtes déployé sur un plan. L'impression des éléments sur un papier autocollant (flasques du clavier, touches, chevalets,...) facilite grandement la découpe des pièces de bois. Tous les paramètres étant sauvegardés dans un dossier «Vielles», il est facile en modifiant un ou plusieurs paramètres, d'obtenir les dessins entièrement mis à jour.

J'ai présenté ici pour plus de clarté une vielle de forme et de caractéristiques tout à fait conventionnelles; on pourrait penser alors à des dizaines, voire des milliers de vielles toutes différentes... bien entendu un tel procédé est tentant pour imaginer une vielle à 6 chanterelles, 12 bourdons, une coque à 49 côtes aux formes complexes... la machine effectue les millions d'opérations arithmétiques nécessaires à une vitesse vertigineuse, mais si elle est capable de dessiner l'instrument en un tournemain, le luthier a vite fait le tour des possibles et la vielle virtuelle n'est pas encore prête à sonner!