L'ÈIME DE LA NUÈIT

Yves ROUSGUISTO
Cucurbitophones, instruments en roseau
Daniel FROUVELLE
Tambours de pluie, chant, vielles à roue, instruments archaïques
Marc PICHELIN et Vincent GEAIS
Dispositifs électroacoustiques
Denis TRICOT
Sculpture d'arcs de bois
Laurent SASSI
Régie

Création en partenariat avec:
_La section du Tarn de l'Institut d'Estudis Occitans, commanditaire du spectacle dans le cadre de l'opération "Èsser Òc" (échange Occitanie/Catalogne)
_Le Groupe de Musique Electroacoustique d'Albi-Tarn
_L'Ecole Nationale de Musique et de Danse du Tarn
_L'ADDA du Tarn
et le soutien:
_du Conseil de l'Europe
_de la Direction Régionale des Affaires Culturelles Midi-Pyrénées
_du Conseil Régional Midi-Pyrénées

Cinq musiciens se regroupent pour un concert. Ils ont en commun le goût du voyage d'émotion offert par l'improvisation et la quête des timbres particuliers. En recherche constante, ils s'inventent leurs instruments, deviennent luthiers de l'archaïque ou du contemporain. Passant de l'aigrelet au ténébreux, ils tirent de l'oubli, explorent les franges, débusquent les dernières découvertes.

Le conte, enregistré par des voix choisies dans tout le monde occitan de l'albigeois au comté de Nice, de l'Auvergne à la Gascogne, chante à gorges généreuses la musique de la langue occitane. Il lève pêle-mêle le mystère sur la découverte du chant par les oiseaux, sur la course du soleil ou sur l'altitude de la Montagne Noire. Il est diffusé au cours du concert, introduit par séquence dans l'improvisation, au gré de l'inspiration musicale d'un manipulateur-interprète du son qui donne à chacun la faculté de se faire entendre.

Inspirés par la musique des voix et des mots du conte, les cinq musiciens, sculpteurs de l'espace sonore et visuel, lancent leurs sons amples ou ténus. Ils jouent de leur corps et de leurs instruments. Ils jouent la fragilité du roseau, la plastique étrange et les timbres graciles des cucurbitophones. Jouent la présence puissante des tambours de pluie, le vaste registre des vielles à roue, la voix, fine, éclatante. Jouent la dynamique, les frottements, les frappes de l'arc, premier instrument à corde, utilisé également là en élément de base d'une sculpture éphémère et envahissante, menaçante pour l'équilibre, la courtoisie des échanges musicaux. Jouent l'électronique sophistiquée, le répertoire infini des sons de la synthèse analogique.

Ainsi le merveilleux peut s'inviter et s'asseoir sur la scène.

L'ÈIME DE LA NUÈIT: parcours

Yves ROUSGUISTO et Daniel FROUVELLE sont amis de longue date; leurs démarches pédagogique et musicale sont très proches, autant que l'esprit qui les anime pour la création de leurs instruments; ils ont déjà mis en commun leur expérience notamment pour la réalisation de prototypes de vielles à base de cougourdons et de bambous. Ils se retrouvent pour leur première création musicale commune au Festival Manca à Nice en novembre 97 .

Sur la sollicitation de l'Institut d'Estudis Occitans, commanditaitre de la création d'aujourd'hui, le conte inspiré de la tradition populaire languedocienne "L'èime de la nuèit" écrit par Daniel FROUVELLE en 1993 à l'occasion d'une commande de l'Ecole Nationale de Musique et de Danse du Tarn, est revu et aménagé afin que soit mise en valeur la langue d'Oc. C'est l'occasion pour Daniel FROUVELLE de rapprocher son travail avec Yves ROUSGUISTO, et les musiciens improvisateurs de la formation "EXTRA-SOLAIRE" avec qui il travaille depuis plusieurs années. L'expérience musicale se veut forte, le propos n'étant pas l'illustration d'un texte mais une création artistique intègre dont le texte est un "instrument"; ses images servant la préoccupation essentielle: le développement de l'oeuvre artistique dans un rapport poétique de ses éléments, sans concession.

Autour de cette proposition, un partenariat exemplaire a permis de rassembler énergies et moyens, La Délégation Départementale à la Musique et à la Danse du Tarn (ADDA) fédère l'action et apporte sa dynamique, I'Ecole Nationale de Musique et de Danse du Tarn (ENMDT) ouvre toutes grandes ses antennes et développe l'action de son atelier de musiques improvisées, le Groupe de Musique Electroacoustique d'Albi-Tarn (GMEA) soutient la création contemporaine et s'inscrit dans une nouvelle politique de diffusion départementale, I'IEO dans une dynamique d'échanges Européens s'ouvre généreusement aux musiques d'aujourd'hui.

Cette création bénéficie du soutien:
du Conseil de l'Europe
du Conseil Régional Midi-pyrénées
du Ministère de la culture, DRAC Midi-Pyrénées
du conseil Général du Tarn

avec l'aimable concours des conteurs: Cristian LAUS, Christian MARC, Bernat LESCALIER, Miquèl TAIAC, Felip et Flor GIROUSSENS, Josiane et Baptistine DESQ, Joan-pèire BAQUIE, Andieu SAÏSSI, Crestiana MASQUES, Domenja LEKUONA,Joan-Francés TISNÈR, Joan-luc LANDI,Pèire BOISSIÈRA, Joan ROS, Jean-Claude ROCHER, Serge et Annie CROS,Anne-Marie LOUBIERES et Marcelle BONNET.

L'ÈIME DE LA NUÈIT: Art sonore

Les Tambours de pluie sont de grands bambous du sommet desquels se vident goutte à goutte des réservoirs d'eau réglables en débit. Les gouttes tombent sur les membranes de petits tambours, en bambou eux aussi, créant une polyrythmie aléatoire.

Le "tambour de pluie" est un instrument fascinant, par son esthétique d'abord (de longs bambous fumés cerclés de cuivres) et par la musique qui en émane, évidente et secrète, comme la nature.

Leur mise en oeuvre est très archaïque: le musicien oriente le développement d'un phénomène naturel. Ce n'est pas l'énergie humaine qui est productrice du son, elle est simplement nécessaire à sa gestion: l'instrumentiste règle et module les flux de percussions, précipitant ou retenant le débit de telle source, modifiant le timbre de tel résonateur. Toujours, il semble à l'écoute du processus musical autant qu'il parait le diriger.

La façon dont sont mis en oeuvre les instruments électroacoustiques, qu'il s'agisse de synthèse analogique, des multiples traitements de sons concrets , relève de la même attitude. Chaque musicien contribue par son jeu à créer l'espace nécessaire au libre déploiement de l'écoute.

Une invitation musicale:

L'électronique y côtoie le bambou, sur un plan sonore certes (par jeux de transformations, imitations, contrepoints, déplacements...) mais plus encore à un niveau poétique, dans cette humble ironie de l'instrumentiste qui cherche avant tout à partager l'émerveillement de son écoute.

Un jardin ouvert ...

L'ÈIME DE LA NUÈIT: Art plastique

Denis TRICOT

Ephémère, forcément éphémère. Le geste du travail, l'élan qui me pousse lorsque je bâtis sont mes compagnons. L'échéance doit être proche pour que la cadence presse, que le pas devienne course et ainsi se bouscule jusqu'au moment où, surpris, je comprends que c'est fini. Le plaisir guette. La nausée aussi parfois. Trop, c'est trop. Je brûle ou j'abandonne. Il est vrai que l'architechture éphémère a toujours autorisé déraison, fougue, audace, extrême légèreté. Equilibre, déséquilibre : le fil de la vie. Le durable lui, m'engonce dans le pathétique, la grandiloquence. Par contre il me faut photographier, conserver l'image de la forme dans son lieu. Ainsi, je peux la contempler.

L'ÈIME DE LA NUÈIT: ESPACE PERSONNEL

YVES ROUSGUISTO

jardinier inspiré, joue des rondeurs voluptueuses de ses cougourdons dont il a patiemment gratté l'écorce, qu'il a transformé en sculptures musicales. Il les marie à la magie toute cristalline des cannes de provence, en extrait une musique délicate et sensuelle, celle du vent et du soleil qui les ont fait mûrir.

DANIEL FROUVELLE

servant hiératique des tambours de pluie, porte la charge de toucher les extrêmes du monde sonore avec des instruments archaïques plongés dans la technologie du temps. Il les construit tous avant d'en extraire le tonnerre du ciel ou le gazouillis du ruisseau. Sans compter la voix qui sort de plus loin encore.

VINCENT GEAIS

est un forgeron du son électronique. Il écoute avec ses mains et regarde avec ses oreilles. De cordes en pédales et de pédales en boutons, il chauffe, frappe, tord, étire, il retourne, fait gonfler, resserre et repose, sur l'enclume du temps la matière invisible qui sculpte sa présence dans l'espace haut-parlant.

MARC PICHELIN

joue également du souvenir et de la technique. L'instrument est unique: carton et électronique, mais les baguettes diverses, les archets multiples nous ramènent résolument aux préoccupations très terriennes de l'alimentaire et de la vie courante. Même le couvercle en fer blanc de la boite à gâteaux de l'enfance est mis à contribution. Musique concrète, battante et grouillante.

DENIS TRICOT

est serpenteur de bois, grand voleur de regard, sculpteur du monumental et de l'éphémère. Parti d'un alignement d'arcs de 3 mètres de hauteur, il monte et descend au gré des vagues qui envahissent obstinément l'espace scénique. Entre le son des arcs musicaux et les formes des arcs de construction, il évolue, sans hâte. Du geste juste, de la danse du travail.

LAURENT SASSI

porte la lourde tâche de la cohésion sonore de l'ensemble: arrangeur du tout, dérangeur de l'instant, il fait apparaître ou surgir les locuteurs du conte gravés sur ses bandes magnétiques à travers les miroirs de son inspiration.

Les six revendiquent pour l'Èime de la Nuèit l'appellation "concert". Un concert pour le septième larron de la fête qui est le spectateur. Son rôle consiste à prendre dans les six propositions et les passerelles jetées entre elles, un chemin, une histoire, un son, une image, à les suivre comme des libellules au dessus des eaux de juin, à regarder naître la poésie dans la sincérité du réel.

L'ÈIME DE LA NUÈIT:

FICHE TECHNIQUE

MATERIEL FOURNI
1 Console 24/8/2 type souncraft Venue II
1 PCM 80
1 micro HF cravate type senheiser
2 micro shoeps CMC (capsule MK4)
4 boitiers de directes actifs
2 haut parleurs types PS15 (ou 4430JBL)
4 haut parleurs types PS10 (ou 4412 JBL)
Amplifications et câbles en conséquence
Notes: on doit pouvoir contrôler les six points d'amplification individuellement. La console devra être dans la salle

A LA CHARGE DE L'ORGANISATEUR
6 projecteurs 1000W minimum
scène 80m2 minimum, hauteur sous plafond 4m minimum
branchement électrique 220v à proximité
_temps de montage 2h30, temps de démontage 1h30.

CONDITIONS MATERIELLES:

Contrat de vente du spectacle: 25000F H.T (TVA 5,5%)

Défraiements pour 6 musiciens: 469F par personne et par jour.
Déplacements: 1 fourgon au départ d'AURILLAC à 3F/km
1 fourgon au départ d'ALBI à 3F/km
1 voiture au départ de NICE à 2F/km

CONTACTS:

Daniel FROUVELLE, chemin des Grèzes, 81380 LESCURE
tél 05.63.46.09.49
Denis TRICOT, Boussac, 15130 St-SIMON
tél / fax 04.71.64.90.91

L'ÈIME DE LA NUÈIT.

1 La meu istòria se passa i a plan temps: la Montanha Negra es encara la pus bèla, la plus nauta de totas las montanhas de la tèrra. Lo solelh, trapant l'endreit fòrt agradiu, se ven colcar cada ser dins lo pradelon darrèr la cima pus nauta. E cada matin se torna levar del meteis endreit, puja a la punta de la cima e demòra aquí tota la jornada a esclairar lo mond, dinc'al moment que, plan las, decida de s'entornar. Se daissa anar e davala en rotlant cap al pradelon... Aquela istòria se passa i a plan temps: rendètz-vos compte, los aucèls cantan pas, las autras bèstias tanpauc e lo solelh fa pas qu'anar e venir dins lo cèl...

2 Al fons de la val se tròba Esclafa-Rasim, un vilatjòt de vinhairons. Es aquí que viu una òrra femnassa que passa lo temps, del matin al ser, a malfar al mond que vivon a son entorn. Imagina mila trabucs. Òmes, femnas, dròlles, bèstias, totes ne patisson. Los mespresa talament que finís per èsser fòragetada del vilatge: paures esclafa-rasinòls, que sabon pas alara çò que lor ne va costar, mas d'aquel malur cadun ne poirà tirar profièit. La femnassa se promet de se vengar del sòrt que li fan. Monta dins la val dinc al pè de la Montanha Negra. Arriba a la cauna del Drac e li demanda de la cambiar en masca. Lo Drac que l'esperava, pr'amor qu'avià preparat lo terren, l'i pren l'arma e abracadabrà, aquí-la Draqueta. Li bastís una cabana ambe de ramasses prèp del seu ostal e se sièt sus una cadièira longa a la dintrada de sa cauna per veire l'espectacle!

3 La femnassa comença per amassar fòrça brancas, gròsses coma lo braç, amb d'espinas ponchudas. Fa una baralha tot lo torn del pradelon, monta una portalièra amb una saralha que t'i cal prene de las doas mans per poder virar la clau. Aquò l'i pren tota la jornada e, a la fin, quand lo solelh davala en rotlant cap al pradelon, lo te clava a doble torn e l'emmasca que li venga pas la quita idèia d'ensajar de s'escapar. Alara vaqui lo mond condamnat a l'escuresina; cal pas mai d'un centenat d'oras per que comença de se passir, las plantas dins d'abòrd. E la femnassa se tròba plan colhonada: l'Albeta salvatja, l'èrba doça e fina que creis al bòrd dels gaudres, l'èrba magica que devon manjar cada jorn las mascas per gardar lor poder es definitivament dispareguda... Se'n tròba pas mai. Es acabat per la masca e sas mascariás, se pòt pas mai tornar enrè!

4 A la broa del riu, a la dintrada d'Esclafa-Rasim, Gargoset, un omenet qu'a l'esperit viu coma un estrevelh mas qu'es savi entre totes, viu simpletament dins sa cabana. Contunha de viure tranquillament alara que lo païs ven de mai en mai escur. A endevinat çò que vòl la femnassa e se prepara per i far la contra : amic de la natura, coneis l'Albeta aprivadada, l'erbeta tan doça, tan fina, tan pura, tan delicada, l'erba qu'a besonh dels suènhs e de l'amor dels òmes que la cultivan, la que fan secar per far lor melhors lièches per l'ivèrn,e ont se van pausar d'estiu; amb ela se garis lo mal de genolh, lo mal de cuòl, tròp de pols, la sang que fa bolh... Dins la longa nuèit qu'a començat, ven de còp en còp esclairar son Albeta amb de candelons; li parla, li conta d'istòrias, s'alonga prèp d'ela e para talament l'aurelha que d'unes còps li arriba de l'entendre que creis.

5 Dins la nuèit silenciosa e prigonda, pren una ponhada d'Albeta e se'n va contra capmont. Ponha pas a se trobar pòt e pòt amb la femnassa que dempuèi de temps a solfinat la flaira del preciós vegetal. Se ronça sus el, lo fa tombar, li desraba l'èrba de las mans e l'engolis d'un còp: « Sabi d'ont ven ton Albeta, çò ditz, mas soi perduda se las gents de ton vilatge me tròban al teu ostal, Gargoset, ta vida es a ieu se cada jorn me pòrtas pas ma pessada d'Albeta !

_Cada jorn? diz Gargoset, mas avèm pas mai de jorn e pensi plan que i sètz per quicòm; tre que faretz tornar sortir lo solelh, vendrai per vos apasturar !

_Lo solelh, fa bèl briu que l'ai emmascat, e ara es tròp pigre per montar d'esperel. Non, dobrirai la portalièra e l'anaràs quèrre tu. Gargoset, ton còrs e ton anma son meus! Cada nuèch me'n apoderarai e farai çò parier de totes los teus per far mas volontats!

_ Rapelatz-vos que l'Albeta, sens mon amor e mos suènhs, se passirà lèu! Vos conselhi de daissar mon esperit e ma votz en patz se voletz que m'occupe de vòstra mangisca!»

6 Atal fa la femnassa: dobrís la portalièra, Gargoset se pren lo solelh sus l'esquina e lo quilha ennaut de la montanha. De ser, la masca te fot un còp de pè pel cuòl al solelh que davala en s'afanant dins lo pradelon que clava. Quand se fa nuèit, Gargoset daissa son còrs a la masca. En embreissant tot lo mond del vilatge, comença de destrantalhar Esclafa-Rasim: e pinga a còps de pigassa, e panga a còps de massa, los esclafa-rasinòls embreissats meton pel sol las teuladas, fan s'esbudelar las parets... Pendent tota la nuèit, l'esperit de Gargoset sosca e la votz s'ensatja dins d'exercicis estranhs... Lo matin, Gargoset torna trobar son còrs. Quand es lo moment, pren una ponhada d'Albeta e se'n va a son trabalh matinièr en cantant : « chiu-chiu-chiu, chiu-chiu-chiu... masca, donatz aquel cant als passerats,   tendrai mon esperit en patz e vos donarai l'èrba.» La femnassa manja l'erba e los passerats se meton a cantar. D'ausir aquela cançon, lo solelh se desrevelha, se regassa e para sas aurelhas que s'emplisson d'aquela novela musica. Amb aquelas vibracions musicalas que li venon, comença de se conflar; lo Drac se regala de l'espectacle e se ditz: «Quna polida idèia qu'ai agut!»

7 La femnassa dobrís la portalièra, Gargoset se pren lo solelh sus l'esquina e lo quilha ennaut de la montanha. Los vilatgeses agachan lo desastre de la nuèit, mas lo cant dels passerats en dintrant dins lors aurelhas lor dona talament de plaser e de coratge que tornan bastir Esclafa-Rasim dins la jornada. De ser la masca va donar un grand còp de pè pel cuòl al solelh per lo far davalar dins lo pradelon que clava. Pendent la nuèit Gargoset daissa son còrs a la masca.Torna destrantalhar Esclafa-Rasim en embreissant tot lo mond del vilatge: e pinga a còps de pigassa, e panga a còps de massa, los esclafa-rasinòls embreissats meton pel sol las teuladas, fan s'esbudelar las parets... Long de la nuèit l'esperit de Gargoset sosca e la votz s'ensaja dins d'exercicis estranhs. Lo matin, Gargoset torna trobar son còrs; quand es lo moment, pren una ponhada d'Albeta e se'n va a son trabalh matinièr en cantant : «tri-tri-tri, tri-tri-tri..., masca, donatz aquel cant als grelhs, tendrai mon esperit en patz e vos donarai l'erba. » La femnassa fa coma li ditz, manja l'èrba e los grelhs se meton a cantar . Susprés per aquel cant, lo solelh se desrevelha, regassa e para sas aurelhas que s'emplisson d'aquela novèla musica. Amb aquelas vibracions musicalas que li venon, contunha de se conflar... Lo Drac se regala de l'espectacle e se ditz : «Quna polida idèia qu'ai agut!»... e Gargoset quilha un còp de mai lo solelh ennaut de la montanha...

8 Aquí es vengut una abitud: cada matin la femnassa dobrís la portalièra, Gargoset se pren lo solelh sus l'esquina e lo quilha ennaut de la montanha. Los vilatgeses agachan lo desastre de la nuèit , mas lo cant novèl d'una bèstia en dintrant dins lors aurelhas lor dona talament de plaser e de coratge que tornan bastir Esclafa-Rasim dins la jornada. De ser la masca va donar un grand còp de pè pel cuòl al solelh per lo far davalar dins lo pradelon que clava. Pendent la nuèit Gargoset daissa son còrs a la masca.Torna destrantalhar Esclafa-Rasim en embreissant tot lo mond del vilatge: e pinga a còps de pigassa, e panga a còps de massa, los esclafa-rasinòls embreissats meton pel sol las teuladas, fan s'esbudelar las parets... Long de la nuèit l'esperit de Gargoset sosca e la votz s'ensaja dins d'exercicis estranhs... Lo matin, Gargoset torna trobar son còrs; quand es lo moment, pren una ponhada d'Albeta e se'n va a a son trabalh matinièr en cantant, demanda a la masca de donar aquel cant als rits, a las cigalas, a las granhòtas,...per aver l'esperit en patz e per qu'aje son erba. La femnassa fa coma li demanda, manja l'èrba e las bèstias se meton a cantar. Susprés per aquel cant, lo solelh se desrevelha, regassa e para sas aurelhas que s'emplisson d'aquela novèla musica. Amb aquelas vibracions musicalas que li venon, contunha de se conflar, se conflar...

9 ... De se conflar de mai en mai: lèu cal un buòu e una carreta per quilhar lo solelh ennaut de la montanha, puèi cinc buòus, dètz, cent... l'afar dura dempuèi d'ans, la tèrra es enaigada de musica, la cordelada dels buòus que tiran una carreta gròssa coma un vilatge va de la montanha fins al fons de la val... La Montanha Negra, amb lo pes del solelh sus la clòsca s'aplatussa un pauc mai cada jorn... Lo Drac se regala de l'espectacle e se ditz : «Quna polida idèia qu'ai agut! mas aquela montanha que s'aplatussa e ma cadièra longa que comença de trantolejar me donan coma una pressentida...»

10 Aqueste ser, la masca a donat un còp de pè tan fòrt pel cuòl d'un solelh devengut tan gròs, que s'es torcegut lo pè... Ne cal ben finir. L'endeman matin, Gargoset arriba davant la femnassa, li suènha lo pè e li canta: «Cacaracà, Cacaracà! », li demanda de donar aquels cants als gals, aquí es fach. Lo solelh se desrevelha d'un còp, demanda : «Mas qu'es aquò?? », se pòt pas empachar, per una fòrça irresistibla, d'anar veire çò que se passa; pren son vam e fa un saut de gigant per dessús la montanha, se confla coma jamai e monta ennaut, ennaut mai naut dins lo cèl. Quand es plan naut, los gals s'arrèston de cantar, mas los que son mai a l'Oèst prenon la seguida, lo solelh camina per los anar ausir... E aquesta ronda que comença va durar encara longtemps, tant que i aurà de gals, saique...

11 Dins son darrièr vam, lo solelh a aplatussat la Montanha Negra, e remandat lo Drac, sas mascariás e sa cadièra longa al centre de la tèrra. La femnassa alara desemmascada, après d'annadas d'Albeta aprivadada, es venguda una femna polideta e manhagueta. Ça que là cresi que Gargoset la va prener per esposa, s'aquò es pas encara fach...

12E cric, e crac, i a mens que la mitat de vertat,
Passi pel prat del solelh embarrat,
De tant bèla que foguèt
La Montanha Negra s'espotiguèt,
S'aplatussèt, pichoneta venguèt,
E mon conte s'acabèt.

Danièl FROUVELLE,
amb l'aduja de Cristian LAUS

L'ESPRIT DE LA NUIT.

Mon histoire se passe il y a bien longtemps: la Montagne Noire est encore la plus grande, la plus haute de toutes les montagnes de la terre. Le soleil, trouvant l'endroit très agréable, vient se coucher tous les soirs dans le petit pré derrière le plus haut sommet. Et le matin il se lève du même endroit, grimpe à la cîme et reste là toute la journée à éclairer le monde, jusqu'au moment où, fatigué, il décide de rentrer. Il se laisse aller et descend en roulant jusqu'au petit pré... Cette histoire se passe il y a bien longtemps: rendez-vous compte, les oiseaux ne chantent pas, les autres animaux non plus et le soleil ne fait qu'aller et venir dans le ciel...

Au fond de la vallée se trouve Esclafa-Rasim, un petit village de vignerons. C'est ici que vit une horrible femme qui passe son temps, du matin au soir, à faire le mal tout autour d'elle. Elle imagine mille tracas. Hommes, femmes, enfants, animaux, tous en pâtissent. Son mépris est si grand qu'elle finit par être chassée du village: pauvres esclafa-rasinòls, qui ne savent pas alors ce qui va leur en coûter, mais de ce malheur chacun pourra en tirer profit. La mauvaise femme promet de se venger du sort qu'on lui fait. Elle monte dans la vallée jusqu'au pied de la Montagne Noire. Elle arrive à la caverne du Drac et lui demande de la changer en sorcière. Le Drac qui l'attendait, vous pensez bien qu'il avait préparé le terrain, lui prend son âme et abracadabra, la voilà Draqueta. Il lui batit une cabane avec des branchages près de chez lui et s'assied sur une chaise longue à l'entrée de sa caverne pour voir le spectacle!

La mauvaise femme commence par amasser un tas de branches grosses comme le bras avec des épines pointues. Elle construit une barricade tout autour du petit pré qu'elle ferme avec grand un portail dont il faut se prendre à deux mains pour tourner la clé dans la serrure. Ça lui prend toute la journée et quand le soleil descend en roulant jusqu'au petit pré, elle l'enferme à double tour et l'ensorcelle pour qu'il ne lui vienne même pas l'idée de s'échapper. Et voilà le monde condamné à l'obscurité, il ne faut pas plus de cent heures pour qu'il commence à s'étioler, à commencer par les plantes. Et la mauvaise femme se trouve prise à son propre piège: L'Albeta sauvage, l'herbe douce et fine qui pousse le long des torrents, l'herbe magique que doivent manger les sorcières pour conserver leur pouvoir a définitivement disparu...On n'en trouve plus. C'en est fini pour la sorcière et ses maléfices, plus de retour en arrière possible!

Au bord du ruisseau, à l'entrée d'Esclafa-Rasim, Gargoset, un petit homme à l'esprit bouillonnant, mais sage entre tous, vit modestement dans sa cabane. Il continue à mener sereinement sa vie alors que son pays s'enfonçe dans les ténèbres . Il a deviné le dessein de la mauvaise femme et prépare sa riposte: ami de la nature, il possède l'Albeta apprivoisée, l'herbe si douce, si fine, si pure, si délicate, l'herbe qui demande les soins et l'amour des hommes qui la cultivent, celle qui une fois séchée fait les meilleurs lits pour l'hiver, celle sur laquelle on vient se reposer en été, avec laquelle on guérit le mal de cou, le mal de genou, quand on est dans les choux, trop de pouls, le sang qui bout..Dans la longue nuit qui a commencé il vient de temps en temps éclairer son Albeta avec des chandelles, en lui parlant, en lui racontant des histoires, se couchant si attentivement près d'elle qu'il lui est même arrivé de l'entendre pousser.

Dans la nuit silencieuse et profonde il prend une touffe d'Albeta et remonte la vallée. Il ne tarde pas à se trouver nez à nez avec la mauvaise femme qui a flairé depuis longtemps l'odeur du précieux végétal. Elle fond sur lui, le renverse, lui arrache l'herbe des mains et la mange d'un coup: «Je sais où se trouve ton Albeta dit-elle mais je ne donne pas cher de ma peau si les gens de ton village me trouvent chez toi. Gargoset, ta vie m'appartient si tu ne me rapportes pas tous les jours ma ration d'Albeta!

_Tous les jours? dit Gargoset, mais il n'y a plus de jour depuis quelque temps, je crois que vous y êtes pour quelque chose, faites ressortir le soleil et je viendrai vous servir.

_Le soleil, cela fait un moment qu'il est en mon pouvoir et trop paresseux pour monter lui-même. Non, j'ouvrirai le portail et tu iras le chercher toi-même; Gargoset, ton corps et ton âme m'appartiennent! toutes les nuits j'en prendrai possession, et je ferai de même de tous les tiens pour arriver à mes fins!

_Souvenez-vous que l'Albeta sans mon amour et mes soins ne tardera pas à se fâner. Je vous conseille de laisser mon esprit et ma voix en paix si vous voulez que je m'occupe de votre pitance!»

Alors la mauvaise femme s'exécute: elle ouvre le portail, Gargoset prend le soleil sur son dos et le hisse en haut de la montagne. Le soir la sorcière va mettre un grand coup de pied dans le derrière du soleil pour le faire redescendre dans le petit pré qu'elle ferme à clé. La nuit venue Gargoset laisse son corps à la sorcière. Elle entreprend alors la destruction d'Esclafa-rasim en envoûtant tous les gens du village: et ping à coups de hache, et pang à coups de masse, les villageois envoûtés font tomber les toitures, font s'écrouler les murailles...Toute la nuit l'esprit de Gargoset réfléchit et la voix s'entraîne à d'étranges exercices.Au matin Gargoset retrouve son corps. A l'heure convenue, ayant pris une poignée d'Albeta, il s'en va à sa besogne matinale en entonnant un chant curieux: «cui-cui-cui, cui-cui-cui...sorcière, donnez ce chant aux moineaux, j'aurai mon esprit en paix et je vous donnerai votre herbe.» La mauvaise femme s'exécute, mange son herbe et les moineaux se mettent à chanter. Surpris par ce chant, le soleil se réveille, écarquille les yeux et ouvre grand ses oreilles qui se remplissent de cette nouvelle musique. Absorbant ainsi ces vibrations musicales il se met à grossir...Le Drac se régale du spectacle et dit: «Quelle drôle d'idée j'ai eue!»

La mauvaise femme ouvre le portail, Gargoset prend le soleil sur son dos et le hisse en haut de lamontagne. Les villageois accablés contemplent le désastre de la nuit, mais le chant des moineaux entrant dans leurs oreilles leur donne tant de plaisir et de courage qu'ils reconstruisent Esclafa-rasim dans la journée. Le soir la sorcière va mettre un grand coup de pied dans le derrière du soleil pour le faire redescendre dans le petit pré qu'elle ferme à clé. La nuit venue Gargoset laisse son corps à la sorcière. Elle reprend la destruction d'Esclafa-rasim en envoûtant tous les gens du village: et ping à coups de hache, et pang à coups de masse, les villageois envoûtés font tomber les toitures, font s'écrouler les murailles... Toute la nuit l'esprit de Gargoset réfléchit et la voix s'entraîne à d'étranges exercices. Au matin Gargoset retrouve son corps; à l'heure convenue, ayant pris une poignée d'Albeta, il s'en va à sa besogne matinale en entonnant un chant curieux: «tri-tri-tri, tri-tri-tri...sorcière, donnez ce chant aux grillons, j'aurai mon esprit en paix et je vous donnerai votre herbe.» La mauvaise femme s'exécute, mange son herbe et les grillons se mettent à chanter. Surpris par ce chant, le soleil se réveille, écarquille les yeux et ouvre grand ses oreilles qui se remplissent de cette nouvelle musique. Absorbant ainsi ces vibrations musicales il se met à grossir..., Le Drac se régale du spectacle et se dit: «Quelle drôle d'idée j'ai eue!»... et Gargoset hisse une nouvelle fois le soleil en haut de la montagne....

L'habitude est prise: tous les matins la mauvaise femme ouvre le portail, Gargoset prend le soleil sur son dos et le hisse en haut de la montagne. Les villageois accablés contemplent le désastre de la nuit, mais le chant nouveau d'un animal entrant dans leurs oreilles leur donne tant de plaisir et de courage qu'ils reconstruisent Esclafa-rasim dans la journée. Le soir la sorcière va mettre un grand coup de pied dans le derrière du soleil pour le faire redescendre dans le petit pré qu'elle ferme à clef. La nuit venue Gargoset laisse son corps à la sorcière. Elle reprend la destruction d'Esclafa-rasim en envoûtant tous les gens du village: et ping à coups de hache, et pang à coups de masse, les esclafa-rasinòls envoûtés font tomber les toitures, font s'écrouler les murailles... Toute la nuit l'esprit de Gargoset réfléchit et la voix s'entraîne à d'étranges exercices. Au matin Gargoset retrouve son corps; à l'heure convenue, ayant pris une poignée d'Albeta, il s'en va à sa besogne matinale en entonnant un chant curieux, il demande à la sorcière de le donner aux canards, aux cigales, aux grenouilles...pour avoir son esprit en paix et pour qu'elle ait son herbe. La mauvaise femme s'exécute, mange son herbe et les animaux se mettent à chanter. Surpris par ce chant, le soleil se réveille, écarquille les yeux et ouvre grand ses oreilles qui se remplissent de cette nouvelle musique. Absorbant ainsi ces vibrations musicales il continue de grossir, de grossir...

...De grossir dans des proportions considérables: il faut bientôt l'aide d'un boeuf et d'une charrette pour hisser le soleil en haut de la montagne, puis cinq boeufs, dix, cent... Le manège dure depuis des années, la terre s'inonde de musique, le cortège des boeufs tirant une charrette grosse comme un village s'étire de la montagne jusqu'au fond de la vallée...La Montagne Noire, sous le poids du soleil, se ratatine de jour en jour... Le Drac se régale du spectacle et dit: «Quelle drôle d'idée j'ai eue! mais cette montagne qui se ratatine et ma chaise longue qui commence à trembler me donnent comme un pressentiment!...»

Ce soir, la sorcière a donné un si grand coup de pied au derrière d'un soleil devenu si gros qu'elle s'est tordu le pied...Il faut bien en finir. Le lendemain matin Gargoset arrive devant la mauvaise femme, lui soigne le pied et lui chante: «Cocorico, Cocorico!!», lui demande de donner ce chant aux coqs, voilà qui est fait. Le soleil se réveille en sursaut, demande: «Mais qu'est-ce que c'est que çà??»; il ne peut s'empêcher , par une force irrésistible d'aller se rendre compte par lui-même ce qui se passe, prend son élan et fait un bond gigantesque par-dessus la montagne, se met à grossir comme jamais et monte haut, haut, plus haut dans le ciel. Lorsqu'il est bien haut, les coqs arrêtent de chanter, mais ceux qui se trouvent plus à l'Ouest prennent le relais, le soleil se déplaçe pour aller les entendre...Et cette ronde qui commence va durer encore longtemps, tant qu'il y aura des coqs, probablement...

Dans son élan final, le soleil a ratatiné la Montagne Noire, et renvoyé le Drac, ses sortilèges et sa chaise longue au centre de la terre. La mauvaise femme alors désenvoûtée, après des années de régime d'Albeta apprivoisée, est devenue une jolie et gentille femme. D'ailleurs, je crois que Gargoset va l'épouser, si ce n'est déjà fait...

Et cric et crac, il y a moins que la moitié de vérité,
Je passe par le pré du soleil enfermé.
De si grande qu'elle fût
La Montagne Noire s'écrasa,
Se ratatina, devint toute petite,
Et mon conte se finit.

Daniel FROUVELLE
Conte inspiré de la tradition populaire languedocienne